le Clube
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IT'S A WONDERFUL WORLD
Tranquille, vous rêvassiez jusqu'ici à ce mobile
home pour tailler la zone avec Ginette en bikini. Exposés comme au
Louvre, ses pieds fraîchement peinturlurés trônent sur
le tableau de bord, des cotons entre les orteils. Vous avez le compliment
qui vous démange (P'tain, Ginou, si tu niques mon simili cuir, ça
va faire mal à tes bigoudis) mais pendant qu'elle s'active à
la finition, y a de l'auto-stoppeuse à guigner. Loin de ce rêve
idyllique, Terra va vous rappeler qu'avaler ainsi les kilomètres entre
Dunkerque et la Grande Motte ne sera possible que si notre planète
bleue n'implose pas avant vos prochains congés payés. Avec vos
partenaires de table, vous allez donc chouchouter mémère, en
proie à différentes crises (écologique, sociale, diplomatique).
Et vous allez vite vous rendre compte que ça frappe à tout va
aux quatre coins du globe !
Créé en partenariat avec le forum Barcelona et l'UNESCO, on
pourrait faire l'erreur d'ignorer ce qu'on imagine trop facilement comme un
ersatz ludique. Mais voilà, en s'attardant sur la boite, les signatures
de Bruno Faidutti et de Days of Wonder font baisser pavillon à nos
a priori.
Et vite juger, il ne faudra pas. Car Terra réclame un temps d'adaptation
certain : ni prémaché, ni prédigéré, ce
jeu dépasse le cadre ludique habituel pour tendre vers une prise de
conscience, entre humanisme, écologie et philosophie. Tout ça
dans une aussi petite boîte ? Ils ont embauché Majax ou quoi
? Non, Faiduttix !
Et on peut tirer un grand coup de chapeau avec des vrais morceaux de lapin
blanc à l'intérieur au géniteur de Citadelles : le défi
n'était pas facile à relever et beaucoup d'auteurs auraient
sans doute greffé des pseudo-mécanismes sur toile de fond écolo.
Loin des facilités, Faidutti nous a ciselé un petit bijou de
cohérence.
Sans doute en pleine crise "captain Kirk est mon ami" (dans la première
ébauche du "Collier de la reine", il y avait peu de pierres
précieuses et beaucoup de vaisseaux spatiaux), Bruno a choisi dans
un premier temps de coloniser Mars (trop tard pour sauver la terre ?) ! La
fuite n'étant pas la meilleure des solutions (et l'ombre de Klaus Teuber
planant quelque peu sur le projet), il a finalement décidé de
rester sur notre bonne vieille terre et de miser sur un jeu de cartes semi-coopératif.
Le principe est simple : des cartes "crise" - révélées
dès qu'elles sont piochées - et contrées par des cartes
"résolution" (valeur 1 à 6). Il suffit alors de vous
allier entre joueurs pour aligner un nombre suffisant de cartes dont la somme
compense l'amplitude (10 à 16) de telle ou telle crise. A cette occasion,
seulement 1 ou 2 joueurs gagneront des points.... et c'est bien là
où se trouve le petit grain de sable : machiavélique, Terra
vous incite à plutôt planquer sous le matelas ces cartes résolution,
tirant ainsi un bien meilleur profit en fin de partie. Mais à force
de "passer en Suisse", les munitions risquent de manquer pour lutter
contre les crises qui se multiplient... et si vous atteignez le point de non-retour
: BOUM ! La partie s'achève prématurément et il sera
bien difficile de désigner un vainqueur parmi vos poussières
désormais en orbite dans le cosmos.
Frustré ? C'est un peu le but caché du jeu. Car face à
l'attentisme général (que ce soit dans le jeu...ou ailleurs
!) la situation est toujours sur le fil du rasoir et seules les situations
d'urgence provoquent l'union sacrée des joueurs. Le reste du temps,
on se garde bien d'agir, histoire de ne pas favoriser son voisin. Mais pour
remplir votre caisse noire, faudra faire diversion, vous donner un semblant
de bonne conscience médiatique, en posant au moins une carte résolution
sur l'une des crises présentes. Cette contrainte (je donne un peu d'un
côté pour discretos m'en mettre plein les fouilles de l'autre)
est le mécanisme le plus amusant de Terra, donnant souvent lieu à
des joutes verbales : "Allez les gars, je me dévoue parce que
s'il faut vous attendre pour sauver la terre, on est mal barrés ! ".
Comme généralement notre beau téméraire s'est
délesté de sa plus faible carte pour mettre les plus grosses
en lieu sûr, le costard est vite taillé autour de la table et
les noms d'oiseaux fusent : "Eh Messier, ton pourliche, t'as qu'à
le garder pour tes starlettes d'hollywood !
La plus grande erreur concernant Terra serait de croire qu'un jeu ne se juge
que par la qualité de ses mécanismes, sans tenir compte du thème.
Ici, les 2 sont tellement indissociables qu'il ne faut pas détourner
le jeu de son objectif initial : sensibiliser autant qu'amuser. Terra est
avant tout un outil de communication événementielle "hors
norme" (et annoncé "hors gamme" par l'éditeur).
Sa forte personnalité, son caractère ludique marginal, ne feront
pas l'unanimité, preuve en est son accueil contrasté aux brunchs
du Clube. Mais voilà l'occasion d'aimer et de défendre un jeu
à part, qui, s'il ne changera pas la face du monde, rappelle que sans
partage, la vie n'existe pas. Si un tel message vous paraît aussi vain
que niaiseux, évitez Terra. Pour les autres, ce "miroir ô
miroir" quelque peu grinçant vous laissera peut-être rêver
d'un écho, aussi faible soit-il...
Pour chaque copie du jeu vendue,
Days of Wonder contribuera à hauteur de 1 Euro, soit environ 20% de
sa marge brute, au financement de projets dans le domaine du développement
durable.
LE MONDE EST STONE
Au bout de la 3e fin prématurée, on peut commencer un
peu à s'enerver : soit contre le concepteur du jeu, soit contre ses
partenaires de jeu. De quoi changer son regard sur ses amis ! A 3 joueurs,
il est plus difficile de lutter contre toutes les crises A 5 ou 6 joueurs,
il est quasi impossible de préparer le terrain afin de résoudre
au tour suivant une crise déclarée : trop de joueurs avant vous
pourront poser ce fameux "6" que vous espériez placer
Y'aura toujours un joueur novice qui gardera dans son jeu une carte "crise",
croyant tenit la mega carte "résolution" : design pas suffisament
explicite ? Le système de jeu mis en place pour contrer une
crise imminente n'incite pas les joueurs à s'investir lors de ce fameux
"premier tour de table". Cela reflète sans doute merveilleusement
bien la réalité mais au bout du compte, on se retrouve avec
une phase de jeu un peu "boulet", qu'on daigne utiliser que dans
de très rares occasions (essentiellemnt dans les situations d'urgence)
La boite ressemble à l'une de ces affichettes de "santé
publique" placardées dans les salles d'attente des médecins
: ça vous donne envie, vous ? Finalement, on peut arriver à
un jeu totalement bloqué si personne ne veut lâcher le morceau
: c'est sans doute trahir l'esprit du jeu mais limiter le nombre de cartes
en main afin d'obliger les joueurs à poser auraient sans doute permis
de débloquer certaines situations A bien y réfléchir,
Faidutti pose un regard sans complaisance et un brin cynique sur notre société
actuelle puisque le gagnant d'une partie est "un beau parasite".
Vous voulez vraiment remporter ce titre peu glorieux ? Là aussi,
ce n'est pas dans l'esprit du jeu mais pour ceux en ont marre de jouer "pour
rien", vous pouvez très bien après un échec collectif
révélez vos caisses noires et reculez votre pion sur la piste
de score en fonction du résultat de chacun : celui qui sera le moins
dans le négatif aura alors gagné...à titre posthume.