Tous ceux qui ont participé à nos concours de pronostics trépignent sans doute : est-ce que quelqu'un a trouvé les 5 nominés ? Est-il le seul ? Tout ce qu'on peut vous dire, c'est que nous connaissons dès à présent les gagnants de nos 2 concours de pronostics. Mais chaque chose en son temps (et un peu de suspense ;-). Pour l'instant, il y a beaucoup de choses à dire sur ces fameux nominés révélés le 26 mai dernier, en vue de l'élection du Spiel des Jahres 2008 (le jeu de l'année allemand).Constatation principale : le jury a rappelé à tous les joueurs et éditeurs de la planète que c'était avant tout un prix allemand, destiné à aider l'industrie du jeu... en Allemagne. Car si on trouve bien un auteur français aux commandes du fort réussi Suleika, les 5 heureux élus sont tous édités en Allemagne et les chances françaises (nombreuses) ont été reléguées au rang des recommandations. Après, c'est toujours l'histoire du verre à moitié plein ou vide : on peut soit se féliciter de la présence de 3 jeux français dans cette liste de consolation (Du Balai, Jamaica, Metropolys), soit déplorer le protectionnisme du Jury. Car il y a fort à parier que si Marrakesh, édité chez le français Gigamic n'avait pas été repris chez l'allemand Zoch, le récent primé de l'As d'or cannois n'aurait pas eu les mêmes faveurs. Revue d'effectifs.
Commençons par la 5eme roue du carrosse, par cet invité surprise que nous réserve chaque année le Jury, comme s'il voulait à chaque fois marquer de son empreinte l'année ludique par un choix non consensuel, déjouant tous les pronostics et - reconnaissons-le - laissant à chaque auteur ou éditeur un espoir de figurer dans cette short-list. Mais lorqu'on est joueur passionné, la fête est un peu gâchée. Un peu comme si un dimanche soir, affalé dans votre canapé, en chaussettes et T-shirt Trust de votre lointaine adolescence, un collègue de bureau - celui qui rit bien fort de ses blagues au creux de votre oreille - venait sonner à votre porte parce que sa télé est en panne et qu'un match de l'OM, même contre Lorient, c'est sacré. Pas vraiment ce que vous aviez coché sur votre programme télé. Parce que - à tort sans doute - on voudrait que le Jury soit le miroir de l'Eden ludique dont on croit posséder les clés.
Blox est donc le jeu que personne n'attendait. Il suffit d'ailleurs de jeter un oeil sur le concours de pronostics organisé par Spielbox : Blox est cité en 35e position !! Un record si on se réfère aux précédentes surprises du jury (Der Dieb von Bagdad, Just for fun, etc...). Du coup, j'ai eu un peu moins de remord à être passé complètement au travers en préparant le tour d'horizon 2008 des prétendants. Pour la petite histoire : j'ai sauté la ligne annonçant sa sortie (!). Mais même avec de meilleures lunettes, je n'aurais pas misé ma chemise dessus malgré la jurisprudence "Just for fun". Car il s'agit bien de la même logique de sélection : un jeu abstrait, facile à apprendre, avec une part de tactique et de hasard, essentiellement lié à la gestion de sa main. D'ailleurs on retrouve la présence du même auteur : Jürgen P.K. Grunau. Si on admet - à la lecture de la règle - que le jeu peut s'avérer divertissant, on ne peut s'empêcher de penser qu'il a volé la place d'un autre jeu (suffit de regarder la liste des recommandés ;-). On peut surtout arguer que c'est le troisème jeu abstrait de la sélection (avec Keltis et dans une moindre mesure Suleika) et que cela en fait au moins un de trop. Le Jury qui se targue de vouloir axer ses choix sur le qualitatif et non le quantitatif, de mettre en lumière les petits éditeurs... semble avoir du mal à joindre le geste à la parole en faisant cette fleur au géant Ravensburger.
Wie Verhext (Malédiction ! chez Filosofia) n'était pas le plus facile à pronostiquer pour les joueurs français de par son arrivée tardive sur le marché. Si l'enthousiasme de certains d'entre vous semble justifier sa nomination, il aura du mal à prétendre au titre suprême même si son mécanisme de double choix est séduisant : en effet, le texte sur les cartes est une épine dans le pied, bien trop profonde en 2008 pour un Jeu de l'année Allemand qui ne peut s'empêcher, en termes de ventes, de penser européen si cette industrie outre-rhin est tant en crise qu'on le dit. L'équation des prochaines années est d'ailleurs intéressante, avec cette Europe qui s'éveille irrémédiablement au jeu, d'où la possibilité pour les éditeurs allemands de trouver de nouveaux joueurs... mais également de nouveaux concurrents (il suffit de voir les progrès des auteurs et éditeurs français année après année, les autres nations emboîtant le pas). On pourra en tout cas en vouloir - à juste titre ou non - aux sorcières de Andrea Pelikan qui ont savonné la planche aux sorcières de du Balai.
Il n'y avait (à mon sens) aucun doute possible sur la présence de L'âge de pierre au sein des 5 nominés. Voilà plusieurs semaines que j'y joue avec le même plaisir, que je le fais découvrir inlassablement et que le jeu séduit immanquablement. Je ne vais pas refaire ici l'étalage des qualités du jeu. La vraie question est : mérite-t-il de gagner ? Oui. Et a-t-il une chance de gagner ? Joker. Car il ne faut pas se bercer d'illusions : ce n'est pas le favori si on se réfère aux critères des précédents jeux de l'année : L'âge de pierre serait ainsi bien trop long, bien trop compliqué (mais pour qui y a joué, cela peut faire sourire) et surtout, un Spiel des Jahres doit être accessible dès 8 an.. Seul espoir : Thurn und Taxis en 2006 était lui aussi à partir de 10 ans (mais annoncé avec une difficulté et durée moindres). L'âge de pierre est en tout cas une opportunité parfaite pour le Jury de sortir le Prix de cette ornière un brin boueuse, qui cherche à niveller non pas par le bas mais par l'accessibilité. Auront-ils le cran ? Ce n'est pas sûr. Reste ma conviction intime, quel que soit le résultat, que L'âge de pierre est le jeu de l'année.
La présence de Keltis semblait là aussi une évidence. Pas forcément liée à ses qualités (réelles ou discutables) mais bel et bien à son format. Son auteur, Reiner Knizia, annonçait - avec un brin d'arrogance généralement réservée aux promotions à l'américaine - qu'il n'y avait pas meilleur jeu. Ses fans grinceront là aussi des dents. Et c'est sans doute là le principal obstacle de Keltis : il n'est pas le meilleur jeu de l'auteur d'Euphrat & Tigris (pour n'en citer qu'un). Et pour un sacre, on a trouvé mieux. Reste qu'il est visuellement une bénédiction dans les rayonnages : "Heu, vous avez le jeu de l'année ? Oui Madame, vous voyez la boite toute verte...". Si le jury opte pour Keltis, la page sera définitivement tournée et le Spiel des Jahres ne désignera plus le meilleur jeu de l'année mais le jeu qui peut être joué par le plus grand nombre, avec une garantie de plaisir ludique a peu près assurée. La position se défend. Mais pour l'avoir là aussi beaucoup fait tourner autour de moi, Keltis ne parvient pas à soulever un enthousiasme total. De la sympathie, certes. De l'addiction, oui. Mais pas de séduction. Serait-ce une si bonne vitrine pour le Spiel des Jahres ? Il reste en tout cas un sérieux candidat, dans la lignée de son prédecesseur Zooloretto. Mais lorsqu'on voit le prix régulièrement soldé de son prédecesseur, on peut se poser des questions sur la route à emprunter. Est-ce vraiment le jeu qui doit aller vers le joueur ? Le petit monde ludique est en train de faire sa crise de croissance. Et ce sera un peu douloureux avant le passage à l'âge adulte.
Suleika est enfin le 5e et dernier nominé. Il est surtout le plus astucieux, le plus simple, le plus visuel. Immédiatement identifiable sur une table, le jeu interpelle. Et Suleika a un avantage considérable : il a déjà été récompensé. Et un jeu qui commence à cumuler les prix, cela ne devrait pas déplaire à la caisse enregistreuse… Alors qu'est-ce qui pourrait empêcher Suleika d'être le prochain Spiel ? Son utra-simplicité et sa part de hasard qui peuvent l'assimiler à un jeu trop enfantin ? Peut-être. Reste qu'avec L'âge de pierre, c'est le meilleur choix que peut faire le jury le 30 juin prochain.
Analyse de vos pronostics pour le SdJ
Supercloclo | JUIN 2008
